Les Inrocks. Place des Vosges : sombre mercredi pour Jeudi noir
Les membres du collectif Jeudi noir, qui occupent un hôtel particulier place des Vosges depuis deux mois, passaient aujourd’hui devant la justice après une plainte de la propriétaire des lieux.
La présidente, Michèle Blin, avait prévenu dès l’ouverture de l’audience au tribunal d’instance du cinquième arrondissement : le procès de Jeudi noir ne doit pas devenir « une tribune politique ».
Douze personnes sont assignées pour l’occupation d’un hôtel particulier de 1000 mètres carrés habitables, sur la très chic place des Vosges. L’immeuble du XVIIe siècle a été réquisitionné le 31 octobre par le collectif Jeudi noir, qui milite pour le droit au logement des étudiants à faible ressource.
Les militants affirment que le bâtiment est inoccupé depuis 1965 par sa propriétaire de 87 ans sous tutelle, Béatrice Cottin. Parmi les personnes citées, certaines nient faire partie des occupants. Dix autres se sont auto-désignées et comparaissent également. Un joyeux bordel s’éteint à l’entrée de la cour, dans une salle d’audience bondée de militants et de journalistes.
Les avocats de Mme Cottin demandent l’expulsion des occupants et une indemnité d’occupation de 69663 euros par mois. « Nous allons enfin pouvoir aborder le respect des lois », commence Maître Claire Waroquier, excédée par une médiatisation plutôt favorable au collectif. « Nous avons entendu que c’est un immeuble inoccupé depuis 40 ans alors que c’est la résidence principale de Mme Cottin. »
L’intéressée vivrait « provisoirement » en maison de retraite après des ennuis de santé, mais voudrait selon sa défense réintégrer l’hôtel particulier de la place des Vosges. Son avocate s’agace contre les squatteurs : « C’est finalement assez marrant d’être logé sans rien payer, a fortiori place des Vosges. On est en train de jouer la montre contre une dame de 87 ans. On vient nous dire « ces pauvres étudiants… » « En droit », interrompt la présidente, qui refuse de dévier vers le sentimentalisme ou la colère. Les plaignants demandent au tribunal d’agir sans délai pour expulser les étudiants.
Pascal Winter, avocat des membres du collectif, se joue du méli-mélo de ceux qui habitent place des Vosges et de ceux qui ne faisaient que passer. « J’ai communiqué la liste à la partie adverse », fait-il valoir. « Sans justificatif », l’interrompt son contradicteur. Blasphème judiciaire : jamais on ne coupe un avocat dans sa plaidoirie. La présidente essaie d’apaiser les choses : « Allez, vous n’avez pas été interrompu et vous ne le serez pas. Continuez. »
Maître Winter reprend. « Les gens que je représente ne sont pas là pour le fun. Ils n’ont pas les moyens de se loger. Il est faux de dire que madame Cottin habite dans les lieux. Les travaux dans cet immeuble ont été arrêtés depuis au moins quinze ans et personne ne l’occupe. »
L’avocat plaide les circonstances particulières qui ont conduit à l’occupation des lieux, l’absence de dommage et leur intention de restituer le bien quand les travaux de rénovation commenceront, comme cela s’est fait rue de la Harpe « Je ne vois pas ce qui justifie l’expulsion brutale », conclut-il. Le jugement sera rendu le 18 janvier.
Les Inrocks
FranceSoir. Jeudi noir ou le mal-logement au tribunal
Le collectif de précaires a investi fin octobre un immeuble parisien classé et inoccupé. La propriétaire réclame près de 140.000 euros et leur expulsion.
L’image peut paraître cliché, mais elle est symbolique. Alors que mercredi matin, le tribunal d’instance du Ve arrondissement de Paris examine l’affaire du squat de la place des Vosges, à l’extérieur, les flocons de neige recouvrent peu à peu voitures et trottoirs. Dans la salle, une joyeuse foule d’une cinquantaine de personnes a pris possession des lieux : pour la plupart, des étudiants ou de jeunes actifs au look bobo mais au porte-monnaie qui crie famine.
Créé en 2006 par un groupe d’amis militants de Génération précaire, le collectif Jeudi noir a pris le parti de dénoncer la flambée des prix des logements. Opérations coups de poing devant l’Assemblée nationale, visites festives d’appartements à louer, ouverture de squats dans des immeubles vides… Depuis trois ans, ces militants d’un nouveau genre du droit au logement multiplient les coups d’éclat pour alerter l’opinion et les pouvoirs publics.
Leur dernier en date a tapé dans le grand luxe. Le 27 octobre, le collectif a investi un hôtel particulier de la place des Vosges, dans le très chic IVe arrondissement. Mille mètres carrés habitables, 300 m2 de cour intérieure et terrasse de 80 m2, le tout en plein cœur du Marais. Des murs classés mais inoccupés, selon Jeudi noir, depuis… 1965. Prêts à partir
Faux, a répondu mercredi Me Claire Waroquier, conseil de la tutrice de la propriétaire de l’immeuble. Selon l’avocate, l’hôtel de la place des Vosges était « la résidence principale » de Béatrice Deroche, veuve Cottin, jusqu’à il y a encore deux ans et une vilaine fracture du col du fémur qui a envoyé la vieille dame de 87 ans, absente mercredi et placée sous tutelle, dans une maison de retraite. Une solution « provisoire », affirme Me Waroquier, sauf qu’à cause de quelques « étudiants qui trouvent rigolo de vivre à plusieurs, une femme de 87 ans ne peut pas réintégrer son logement », s’étrangle l’avocate. Outre l’expulsion manu militari, la tutelle de Mme Cottin réclame « 69.663 euros par mois à compter du 31 octobre », soit le loyer « au tarif du quartier », rallongé de « 1.500 euros d’astreinte par jour de retard ».
Des indemnités qualifiées d’« exorbitantes » par Me Pascal Winter, défenseur de Jeudi noir. Le collectif juge être dans son droit, estimant qu’aucun « trouble à l’ordre public » n’est à déplorer dans cette affaire puisque « le droit de propriété n’est pas exercé ». L’avocat est même prêt à proposer « un protocole d’accord » aux plaignants. « Si la tutrice de la propriétaire s’engage à mener des travaux et à faire de l’immeuble un lieu habité, mes clients partiront sur le champ », assure-t-il. Comme ce fut le cas dans de précédents squats parisiens siglés Jeudi noir. « Mme Cottin est venue nous voir chez elle début novembre. Elle voulait nous rencontrer, tout s’est très bien passé, elle a été rassurée de constater que les lieux étaient bien entretenus, et jamais elle ne nous a dit vouloir venir habiter sur place », affirme de son côté Stéphane Roques, un des treize « résidents » de la place des Vosges. Traducteur littéraire, l’homme, âgé de 36 ans, cumule les handicaps de l’intellectuel précaire. « Sans contrat de travail ni revenus fixes, endetté, interdit bancaire, je n’ai pas les moyens d’être locataire sur Paris », explique-t-il. Réfutant l’idée de « vouloir faire la loi », il en appelle à l’Etat et à sa justice. « Soit on protège le droit de propriété sur des immeubles vacants, soit on s’occupe des Français qui ne peuvent pas se loger. » Réponse le 18 janvier, jour de la décision du tribunal.
Edition France Soir du jeudi 7 janvier 2010 page 8
06.01.2010. Procès-symbole sur fond de crise du logement à Paris
Le Point
La riche propriétaire d’un hôtel particulier du XVIIe siècle vide depuis des décennies et un groupe de jeunes militants qui l’occupent depuis fin octobre se sont affrontés mercredi devant un tribunal de Paris.
Ce dossier a attiré l’attention car il illustre la crise du logement dans la capitale. Le prix de l’immobilier, qui a flambé avant la crise, va de 5.000 euros à 9.000 euros du m2 environ, hors de portée de la majeure partie de la population.
Les prix des loyers sont à l’avenant et les délais d’attente pour l’accès à un logement HLM sont de plusieurs années.
Invoquant le respect du droit à la propriété, les représentants de la propriétaire ont demandé au tribunal d’instance du Ve arrondissement l’expulsion des militants et plus de 140.000 euros d’indemnités (69.663 euros par mois).
« Aucune loi ne permet à des personnes d’entrer par une voie de fait chez autrui », a dit Me Claire Waroquier.
La propriétaire, Béatrice Cottin, 87 ans, qui vit en maison de retraite, considère l’immeuble, où naquit la marquise de Sévigné, écrivain célèbre du XVIIe, comme sa « résidence principale », ont dit ses avocats. Même si elle a été placée sous tutelle l’an dernier, Béatrice Cottin compterait y revenir.
Si l’immeuble était vide, c’est parce que des travaux étaient en cours mais ils allaient se terminer, ont-ils assuré.
Les avocats du collectif « Jeudi noir », qui revendique l’occupation, ont expliqué que l’abandon de l’immeuble de la prestigieuse place des Vosges, qui fait plus de 1.500 m2, et le refus de le mettre en location depuis des décennies justifiait qu’on laisse un délai aux occupants pour partir.
RÉVEILLER LES CONSCIENCES
Devant le tribunal du Ve, Me Pascal Winter a invoqué la loi sur le « droit au logement opposable » votée en mars 2007 et qui donne aux sans-logis le droit de contester en justice l’impossibilité d’accéder à un foyer, texte resté lettre morte.
Stéphane Roques, porte-parole de « Jeudi noir », a expliqué à la presse que l’action avait pour but d’attiser le débat.
« On espère que cette situation permettra de réveiller les consciences et de faire savoir qu’on est face à une situation qui nous semble aberrante et injuste », a-t-il dit.
La socialiste Anne Hidalgo, première adjointe au maire PS de Paris Bertrand Delanoë, a exprimé son soutien à « Jeudi noir » et appelé les juges à la « clémence ».
« Pour avoir visité les lieux, j’atteste que les militants de Jeudi noir ont mis en évidence le scandale d’un patrimoine exceptionnel laissé égoïstement à l’abandon depuis des années. Jeudi noir a, à l’évidence, contribué à sa préservation », écrit-elle dans une lettre à Me Winter.
Le tribunal a mis sa décision en délibéré au 18 janvier.
La Fondation Abbé Pierre recense en France 100.000 personnes vivant dans la rue, 493.000 « privées de domicile personnel » et vivant en foyers, habitats de fortune, chez des tiers ou à l’hôtel, ainsi que plus de deux millions de personnes habitant dans des logements précaires, insalubres ou surpeuplés.
A Paris, selon le recensement de 1999, il y avait 136.000 logements vides, un chiffre qui aurait peu évolué. En 2006, les statistiques fiscales montrent que 18.600 étaient vides depuis plus de deux ans.
Thierry Lévêque, édité par Yves Clarisse
Jeudi Noir comparaît pour le squat de « la Marquise »
NOUVELOBS.COM Trente-trois militants de l’association du droit au logement comparaissent pour avoir occupé illégalement un hôtel particulier inoccupé de la place des Vosges à Paris. Décision attendue le 18 janvier prochain.
L’association du droit au logement Jeudi Noir comparaissait ce mercredi 6 janvier devant le tribunal d’instance du 5e arrondissement de Paris. Trente-trois de ses militants occupent depuis le 27 octobre dernier un hôtel particulier désaffecté de la place des Vosges (IVe arrondissement), l’un des quartiers les plus chers de la capitale, après avoir été invités à évacuer l’immeuble du 14, passage de la Bonne-Graine (Paris 11e). Propriétaire des lieux depuis 1963, Béatrice Cottin, 87 ans, par ailleurs propriétaire d’autres hôtels particuliers à Paris, réclame via sa tutrice l’expulsion des étudiants et jeunes travailleurs présents sur les lieux et le paiement de 69.663 euros d’indemnités correspondant au montant de deux mois de loyer dans le quartier du Marais (50 euros le m², ndlr) pour l’occupation des 1342 m² de l’hôtel particulier « la Marquise », inhabité depuis 1965. Elle réclame également 1.500 euros d’astreinte par jour de retard de paiement, soit près de 115.000 euros au total.
« Décourager les squatteurs »
Une somme « hallucinante », selon l’avocat de Jeudi Noir maître Pascal Winter, qui s’étonne du montant de l’indemnité alors que selon lui « les garanties légales de loyer ne sont pas réunies ». « Il faudrait également prouver le préjudice. Y a-t-il vraiment un préjudice ? L’immeuble est vide depuis des années est n’était pas près d’être loué », argumente-t-il, contacté par Nouvelobs.com, avant d’expliquer : « Dans ce genre d’affaires, les tribunaux du civil ont tendance à protéger au maximum le demandeur et à l’indemniser pour protéger coûte que coûte l’ordre public. Il s’agit en quelque sorte de condamnations pénales déguisées. C’est une politique de pression. Même si l’indemnisation n’est pas fondée, elle sert à décourager les squatteurs ». Lors de sa plaidoirie devant les juges du tribunal d’instance du 5e arrondissement, maître Winter a tenté de démontrer qu’il n’y avait pas de trouble à l’ordre public, donc pas de besoin immédiat d’expulsion, rappelant que la propriétaire des lieux s’était passée de plus de 20 millions d’euros de loyer depuis1965. « L’immeuble est de toute façon inhabitable, les travaux y ont été suspendus en 2003 et aucune demande de location de ce bâtiment classé ‘monument historique’ n’a été effectuée auprès des autorités compétentes », explique à Nouvelobs.com Julien Bayou, de Jeudi Noir. Selon maître Winter, « le droit de propriété, quand il n’est pas utilisé, doit être combattu par le droit au logement : c’est le débat que nous voulons provoquer », avait-il auparavant déclaré à la presse ajoutant que « personne ne veut s’approprier l’hôtel ». « Prendre en otage une personne sous tutelle est un mauvais combat », a estimé quant à elle Me Claire Waroquier, l’avocate de la plaignante, sous tutelle depuis mars 2009, indiquant que celle-ci avait sa résidence principale dans l’immeuble occupé jusqu’à son placement en maison de retraite après une fracture du fémur il y a deux ans.
« Plein soutien »
L’audience se tenait au tribunal d’instance du 5e arrondissement de Paris après l’ordonnance de dépaysement prise par le tribunal de Grande instance de Paris la semaine dernière et annoncée par Michèle Blin, la présidente du tribunal d’instance du 4e arrondissement, qui devait initialement juger l’affaire. Jeudi Noir avait demandé le dépaysement de l’affaire en invoquant un « conflit d’intérêt », Michèle Blin, également juge des tutelles, ayant demandé elle-même le placement sous-tutelle de Béatrice Collin, et nommé sa tutrice. Dans une lettre qu’elle a rendu publique mercredi 6 janvier, l’adjointe au maire de Paris Anne Hidalgo (PS), fustigeant le « scandale d’un patrimoine exceptionnel laissé égoïstement à l’abandon depuis des années », a renouvelé son « plein soutien à la cause défendue par Jeudi Noir », appelant à « la sagesse des juges examinant le dossier, […] tout particulièrement en ce qui concerne les pénalités financières qui pourraient être imputées aux étudiants et jeunes travailleurs » qui occupent les lieux. L’association a par ailleurs déjà reçu le soutien de nombreux politiques, notamment Jack Lang (PS), Cécile Duflot (Verts) et l’ancien maire de Versailles Etienne Pinte (UMP) Jugement attendu le 18 janvier prochain.